
Daïku
Marc Gadmer
Editions Frison Roche Belles – lettres
Collection Ex Nihilo
Quatrième de couverture

Mon avis
Le 1er juin 1918 a vu la dernière offensive de l’armée allemande. Ce même jour, au Japon, dans un camp de prisonniers, est donné un concert pendant lequel est jouée la Symphonie n° 9 de Ludwig van Beethoven. Les musiciens sont allemands et sont détenus depuis 1914. Ils souhaitent « magnifier la Neuvième » (p. 13). En France, les balles crépitent et les hommes s’effondrent, leur vie arrachée par une balle ou par une baïonnette ; en Asie, L’Hymne à la joie résonne « si, si, do, ré, ré, do, si, la…», « le chant retentit, puissant » (p. 18). L’humanité et la fraternité sont réunies dans le poème de Schiller que Beethoven a mis en musique.
Daïku est le nom donné par les Japonais à la Neuvième Symphonie. Ce 1er juin 1918, elle a été interprétée pour la première fois devant eux (depuis, elle est jouée lors du Nouvel-An japonais). Alors que la musique rayonne au pays du Soleil-levant, le sol de France se teinte de rouge, la couleur du sang des soldats. L’exaltation de la musique s’oppose à la barbarie de la guerre. A travers le destin de son héros Markus, l’auteur relate cette incroyable concomitance de dates. Les faits sont entrecoupés par des chapitres au sujet de la vie de Beethoven, presque un siècle plus tôt.
Après un chagrin d’amour, Markus Kramer s’est engagé dans le 3e régiment de fusiliers marins de l’escadre allemande d’Extrême-Orient. Dans son paquetage, il a emmené son violon. L’instrument est ancien et est depuis longtemps dans sa famille. Le jeune homme s’intéresse à la biographie de Beethoven, de qui il se sent proche, car il se retrouve dans les amours déçues du compositeur. Hélas, son violon a été perdu lors de combats avec les Japonais, juste avant que les Allemands soient faits prisonniers, en novembre 1914. Passionné de photographie, Markus immortalise leurs conditions de vie. Le camp de Bandô leur a sauvé la vie, mais leur honneur a été écorné. Ils ne manquent de rien, la vie s’est organisée autour des talents de chacun et des manifestations culturelles sont programmées ; ils ont été protégés de la boucherie des batailles.
Pendant les guerres, les Allemands étaient nos ennemis. Cependant, Daïku donne la voix à un musicien, qui n’est pas un guerrier. Markus est Suisse et a renoncé à sa nationalité pour s’engager. Son compagnon de chambrée, lui, recherche ses racines. L’atmosphère du camp fait oublier les nationalités et les haines de la guerre. J’ai été surprise de m’attacher à certains personnages, alors qu’ils étaient ceux contre qui nos ancêtres se sont battus. Ce roman rappelle que les combattants des différents camps luttaient au nom de leur patrie, que les décisions de s’affronter étaient prises au niveau des États. Il montre que certains exécutants n’oubliaient pas leur humanité et recherchaient la fraternité. Cette prise de conscience est perturbante.
J’ai adoré les passages au sujet de Ludwig van Beethoven. Alors que son génie est, maintenant, reconnu, son existence n’est souvent évoquée qu’à travers sa surdité. J’ai découvert un homme amoureux et malheureux, cependant, exalté par la création et par les sentiments. Un lien entre sa vie et celle de Markus est fascinant. J’ai, aussi, été troublée par un élément du livre, qui renvoie à un autre fait méconnu que j’ai appris dans le livre Le Stradivarius de Goebbels de Yoann Iacono (ma chronique est ICI. Je n’ai pu m’empêcher de penser à une de mes dernières découvertes, Berlin Requiem de Xavier-Marie Bonnot (ma chronique est ICI, qui traite d’évènements qui suivent ceux évoqués dans Daïku. Les liens entre ces romans montrent la magie de la littérature et le fil qui peut relier nos lectures.
Daïku est un roman sublime et émouvant sur des faits historiques méconnus. Il est une ode à la musique classique et à son pouvoir.
Je remercie sincèrement Elya des Éditions Frison-Roche – Belles lettres pour ce service presse.