Les secrets de Ciempozuelos, Almudena Grandes

Les secrets de Ciempozuelos
Almudena Grandes
Editions JC Lattès
Traduction de Anne Plantagenet

Quatrième de couverture

1954. Le jeune psychiatre Germán Velázquez revient en Espagne pour travailler à l’asile pour femmes de Ciempozuelos, à la périphérie de Madrid. Après avoir fui la victoire des nationalistes en 1939, Germán a vécu quinze ans en Suisse, chez un psychiatre juif lui-même en exil.

À Ciempozuelos, Germán retrouve une patiente qui l’avait fasciné, enfant, quand son père la soignait : Aurora Rodríguez Carballeira, paranoïaque qui a assassiné sa propre fille. Il y fait également la connaissance d’une aide-soignante, María Castejón, à qui doña Aurora a appris à lire et à écrire. Attiré par María qui le repousse, Germán la soupçonne de cacher de nombreux secrets.

Âmes-sœurs désireuses de fuir leurs passés respectifs, Germán et María aspirent à se donner une nouvelle chance, mais ils vivent dans un pays humilié, où les péchés deviennent des délits, et où la religion et la morale officielle camouflent abus et exactions.

Mon avis

En 1939, Germán Velázquez a fui le régime de Franco et s’est exilé en Suisse. Il a été hébergé par un psychiatre juif, qui, avec sa famille avait quitté l’Allemagne et le régime nazi. Il a lui-même suivi des études de psychiatrie et il a partagé les douleurs de ceux qui l’ont accueilli. Fin 1953, il assiste à un colloque de neuropsychiatrie à Vienne. Son intervention porte sur les essais cliniques de la chlorpromazine, le premier neuroleptique de l’Histoire. Il est alors abordé par José Luis Robles, un psychiatre espagnol. Ce dernier, qui était l’élève du père de Germán et qui est, maintenant, directeur de l’asile pour femmes de Ciempozuelos, lui propose de lancer un programme fondé sur la chlorpromazine, dans l’établissement qu’il dirige. Exalté par ces promesses de défi professionnel et l’envie de revoir sa famille, ainsi que son pays, Germán accepte, malgré l’inquiétude de ses proches. L’Espagne est une dictature et les positions de son père contre le franquisme l’ont conduit à la mort. Malgré sa joie de revoir son fils, sa mère espère qu’il ne revient pas pour elle, elle ne se pardonnerait pas qu’il gâche sa vie pour elle. « Pendant quinze ans, chaque jour, je m’étais senti coupable de ne pas avoir gâché ma vie. » (p. 34)


A Ciempozuelos, Germán retrouve une patiente de son père : Aurora Rodríguez Carballeira. Ce 9 juin 1933, alors qu’il était âgé de treize ans, il lui avait ouvert la porte du cabinet. Il avait dit à son père qu’un « monsieur normal et une dame très bizarre » (p. 38) souhaitaient le voir. Une heure plus tôt, doña Aurora avait tué sa fille, de quatre balles dans la tête. Ce jour-là, Germán a découvert sa vocation : il sera psychiatre, comme son père. En 1954, il découvre que la plus célèbre infanticide d’Espagne, celle qui l’a fasciné à treize ans et qui a été au cœur de discussions passionnantes avec son père, est internée dans la chambre 19. Il demande, alors, à être son médecin.

Il rencontre, également, María Castejón. Petite fille des jardiniers de l’asile, elle a grandi dans l’enceinte de l’établissement. Elle est aide-soignante. Pendant ses pauses, elle fait la lecture à celle qui lui a appris à lire et à écrire : Aurora Rodríguez Carballeira.

Les liens entre le psychiatre, la patiente et l’aide-soignante comportent de nombreuses ramifications. Aussi, ils sont les trois narrateurs de l’histoire. Leurs voix alternent.

La plus grande place est offerte à Germán. En effet, son récit est exploré sous différents angles. Avec son père, il a découvert la psychiatrie. Il a aussi connu les dangers de la dictature, à travers le terrible destin de celui-ci, mais il a goûté à la liberté, en Suisse. En vivant avec les Godstein, il a découvert que les chaînes intérieures ne se brisent pas, qu’elles suivent les exilés. Ils lui ont montré que les dictatures portent différents noms, mais que les tortures et les morts en sont le prix. Le fait d’avoir vécu quinze ans, loin de son pays qu’il aime, lui donne un œil acéré sur le régime, mais aussi sur le pouvoir religieux et sur la morale dispensée par ces deux ordres. Il est meurtri par les injustices et le manque d’humanité qu’il constate. Il agit à son niveau et est déchiré de ne pas pouvoir faire plus pour soulager les peines et surtout pour les empêcher de se produire. Enfin, sa formation médicale entoure ses observations de connaissances scientifiques et d’un examen pertinent du monde dans lequel il évolue. Sa voix est émouvante et passionnante. Il m’a, énormément, touchée, par les batailles qu’il tente de mener, par son empathie et par son humanité. J’ai, aussi, été fascinée par sa manière de raconter les faits. En effet, cette période de l’Histoire espagnole est dense et complexe. Pourtant, sa description et son analyse éclairent les évènements historiques et les décryptent, avec émotion, rigueur et honnêteté.

La perception d’Aurora Rodríguez Carballeira est marquée du spectre de la maladie mentale et de l’enfermement. Ce personnage a réellement existé. C’est une meurtrière que la folie empêche de comprendre la gravité de son acte. Elle justifie celui-ci par des croyances fantasmagoriques. Pourtant, elle est fascinante, car malgré l’effroi qu’elle m’a inspiré, j’ai été captivée par l’historique de la construction de sa prison psychique. Enfin, j’ai été touchée par les connaissances qu’elle a transmises à María.

Cette dernière est extrêmement touchante. En recherche d’affection, elle est très dévouée. Elle est aussi naïve, car elle a passé la plus grande partie de sa vie, dans les murs de l’asile. La compagnie rassurante de Germán lui permet de s’ouvrir petit à petit. Mais la morale veille…

De nombreux personnages évoluent en parallèle de ces trois protagonistes. La liste est reprise à la fin du livre. Contrairement à l’ouvrage précédent de l’auteure, je n’ai pas ressenti le besoin de la consulter, pendant la lecture, car toutes les informations nécessaires sont insérées dans le texte et les portraits sont très précis. Le contexte historique foisonnant est, également, très développé. J’ai ressenti fortement l’obscurantisme et la terreur qui régnaient dans l’Espagne franquiste, combattus par le courage de ceux qui, dans l’ombre, luttaient contre le régime. Les secrets de Ciempozuelos est une fresque fascinante et émouvante. Ce roman s’inscrit dans une grande œuvre découpée en six opus. Celui-ci est le cinquième et débute en 1954. Hélas, Almudena Grandes est décédée, en novembre 2021, avant que ne soit achevé le sixième. Cependant, chaque tome peut se lire seul et la conclusion n’est pas ouverte. Rien ne laisse présager une suite.

J’ai adoré cette fresque captivante, elle est d’une grande richesse historique et humaine.

Je remercie sincèrement Marion des Éditions JC Lattès pour ce service presse.

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2 commentaires

    1. Merci pour ma chronique, 💖.

      En refermant le livre, j’ai été pleine d’admiration envers l’auteure. C’est une fresque magnifique, qui se déroule pendant une période complexe de l’Histoire.

      Je suis d’accord avec toi : la couverture est superbe.

      Bon week-end à toi, 😘.

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