Renaître après l’inceste, Maeva Bigourie

Renaître après l’inceste

Maeva Bigourie

Éditions IGB

Collection IGB Vécu

Quatrième de couverture

Mon avis

Ce billet ne peut pas être complet. En effet, je l’ai lu avec mes tripes puisque je suis, moi aussi, une victime de l’inceste. Aussi, je suis incapable de percevoir de quelle manière il peut être reçu par un lecteur qui n’a pas subi cette mise à mort du « Je ».

Quand j’ai reçu Renaître après l’inceste, j’ai longtemps tourné autour. Je m’en approchais, m’en éloignais et ne me sentais pas capable de l’ouvrir. Je n’avais lu que la dédicace. Pourtant, j’anticipais mes réactions. J’ai passé une semaine, avec deux idées qui hantaient mon esprit. La première était que j’avais essayé de parler à ma famille et que personne n’avait voulu m’entendre, sauf ma mamie, qui, hélas, ne pouvait pas agir. La deuxième était que j’avais parlé à la justice, mais trop tôt pour moi. Je n’étais pas prête, simplement les délais de prescription et les risques de correctionnalisation m’ont forcée à porter plainte, alors que je ne pouvais pas affronter les images que mon corps transmettait à mon cerveau. Aussi, certains éléments que j’ai révélés, pendant les années de procédure, n’ont pas été pris en compte. A l’époque, ce n’était pas pour moi que je m’exprimais, je ne pouvais même pas dire « je », je disais « elle », mais il y avait une autre enfant à sauver et peut-être d’autres dont je n’avais pas connaissance.

Deux jours avant d’avoir le courage de lire le livre de Maeva Bigourie, écrit avec Marc Gervais, j’ai été réveillée par mes hurlements, suite à un cauchemar que je fais de manière cyclique : le plafond représenté par une plaque de béton s’effondre sur ma tête et les murs se resserrent sur moi. Au réveil, je suis en pleurs. Aussi, j’ai ressenti un choc en lisant ce passage, quelques jours plus tard : « D’ailleurs parfois, le plafond descend vers mon lit et les murs se rapprochent. Le viol est un linceul, l’inceste est un caveau. Mes doigts saignent d’avoir gratté le couvercle de mon cercueil. Enterrer vivante, je me réveille en sursaut, en nage ou en larmes. Alors, je couche des mots sur un cahier d’écolier. Je noircis des pages. J’écris son nom. Je me libère. Plus sereine, je me rendors. » (p. 97)

Pourtant, maintenant que j’ai terminé ce livre, je me sens plus sereine qu’avant de le commencer. En effet, il m’a rappelé que ceux qui me reprochent d’avoir vécu ce que j’ai subi sont ceux qui auraient dû me protéger ; que ceux qui râlent parce que je sursaute lorsqu’on me touche l’épaule, ne comprennent pas que je ne peux pas maîtriser toutes mes réactions. Il m’a, aussi, rappelé que, quand le procès a été terminé, que la justice a écrit noir sur blanc que j’étais victime et non coupable (même si mon bourreau n’a été condamné qu’à deux ans d’emprisonnement), j’ai pensé que j’avais fait ce que j’avais pu et que c’était à la justice maintenant de prendre ses responsabilités et faire son devoir de protection.

Un autre passage a résonné en moi : celui de la naissance de la fille de Maeva. « Après des décennies passées à courber l’échine, un arc-en-ciel se dessine devant mes yeux : je viens de trouver un sens différent à mon existence. En ce qui octobre 2010, j’ai sauvé ma vie ! » (p. 134) Quand ma fille est née, j’ai su que ce jour était le premier des plus beaux jours de ma vie. De plus, le choix de parler à sa fille de ses démarches, m’a permis de m’interroger et de conforter ma décision. J’ai pris conscience qu’il n’y avait aucune obligation, que chaque mère ressent ce qu’elle peut révéler. Le choix de Maeva est le bon et le mien l’est autant. Ma fille est alertée sur les dangers. Lorsque des camarades se confient à elle, sur n’importe quel sujet de risques (familial, internet, école, harcèlement, etc.), elle les encourage à se confier à un adulte. Elle sait qu’elle doit me parler de tout ce qui peut la perturber, quel que soit le sujet et elle le fait. Elle ne connaît pas mon passé, elle sait juste que mon ancien beau-père était méchant. Je suppose que je lui dirai plus tard, quand je sentirai qu’elle sera prête à l’entendre. Là, elle ne l’est pas. Et moi non plus.

A l’âge adulte, il m’est arrivé de reconnaître des compagnes de douleur. Par contre, alors que « selon une enquête Ipsos publiée en décembre 2020, un Français sur 10 affirme avoir été agressé sexuellement au cours de son enfance. 10 % ! » (Note de l’éditrice, p. 10), lorsque je l’étais, j’étais persuadée d’être la seule. Aussi, j’étais seule avec ce secret, avec cette peur que mon père et ma mère soient tués si je parlais, etc. Cela s’est arrêté quand ma mère s’est séparée, pour d’autres raisons, de ce « salopard ». Je rejoins le combat de Maeva « d’instaurer une Journée de soutien aux victimes d’inceste afin de faire prospérer la prévention et la prise de conscience. » (p. 153). J’aimerais aussi que les pouvoirs publics agissent contre ce fléau. Depuis des années, l’association FAI se bat en ce sens. J’aimerais aussi qu’un accompagnement soit proposé pendant la procédure judiciaire, car j’ai été seule pendant les sept années de procès : instruction, première audience avec relaxe pour bénéfice du doute, appel effectué par le parquet et condamnation, Cour de cassation, CIIVISE. Je n’étais pas armée. Je remercie la juge d’instruction qui, alors que j’avais vécu une confrontation avec mon agresseur dans son bureau, m’a accompagnée à la sortie du tribunal, pour attendre avec moi qu’on vienne me chercher. Elle avait vu ma panique quand mon avocate m’avait abandonnée dans les bâtiments dans lesquels se trouvait celui que je venais d’accuser. Je regrette aussi que l’adresse des victimes apparaisse sur les papiers envoyés aux deux parties. Quand je l’ai découvert, j’ai paniqué, puis j’ai déménagé et je me suis domiciliée au cabinet de mon nouvel avocat. Pourquoi la justice ne le fait pas d’elle-même ? 

J’ai conscience que mon avis n’est pas une chronique du livre de Maeva Bigourie, mais je n’arrive pas l’aborder autrement que par mon histoire. En tant que victime, c’est un récit qui m’a apaisée. Il m’a même donné la force, pour une fois, de parler de ce sujet, avec les vrais mots, sans me cacher derrière des phrases sibyllines. C’est l’impression que j’en ai. Il m’a fait prendre conscience que je m’étais sauvée (même si tant que mon agresseur sera vivant, je ressentirai de la peur). Il m’a fait penser à cette jeune fille que j’ai accompagnée dans sa libération de parole et qui, je l’espère, s’est sauvée, elle aussi. Il m’a donné l’espoir que d’autres enfants se sauvent et qu’ils soient de moins en moins nombreux à devoir l’être. Je ne peux dire de quelle manière, il sera perçu par ceux qui n’ont pas connu ce fléau, mais j’ai envie de croire qu’il aura un impact sur leur vigilance et leur attention aux signes.

Alors qu’habituellement, je chasse les répétitions, dans mes chroniques, j’ai décidé de conserver mon texte tel que je l’ai écrit spontanément.

Je remercie sincèrement Marc Gervais et Maeva Bigourie de m’avoir confié Renaître après l’inceste.

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