L’autre part, Morgane Az

L’autre part

Morgane Az

Editions Plon

« Il me faut tout savoir, les odeurs, les bruits, et surtout la lumière de Tanger, qui se fraye à l’aube un chemin entre les interstices étroits des persiennes, peu importe la place du soleil. »

Par ces mots débutent les premiers jours de Manelle au Maroc, au début des années 1950. Par ces mots, toujours, Lina découvre les vingt ans de cette grand-mère qui vient de les quitter, emportant l’ailleurs qu’elle gardait secret. Elle décide de prendre un aller sans retour pour retracer sa trajectoire dans ce pays encore étranger. Derrière le noir et blanc des cartes postales de l’époque, celles dont Manelle disait qu’elles permettaient de tout inventer, la ville d’hier ouvre ses portes au son des voix de Radio Le Caire, des contes de rues et des cafés au-dessus de la mer. Sous statut international, elle abrite l’esprit de la Beat Generation qu’on lui connaît encore aujourd’hui, mais aussi le théâtre d’une résistance de l’ombre contre le protectorat et la naissance des premières associations de femmes luttant pour leurs revendications.

Dès ses premiers pas à Tanger, Lina se plonge à son tour dans la fougue et la liberté de celle qui l’a précédée, touchant du doigt sa propre histoire et les mémoires indicibles qui façonnent notre héritage. Et répond ainsi aux questions qui guident chacune de nos pertes : Qui devient-on quand on nous quitte ? Quelle place, au monde, nous donnent ceux qui partent ?

« Que devient-on quand on nous quitte ? » (p. 12) Au décès de sa grand-mère, Lina se sent perdue. Une carte postale, des lettres, un carnet sont les seules traces de l’année que Manelle a vécue au Maroc. Et le silence au sujet de cette autre part d’elle-même… Sa petite-fille ose enfin lire ses écrits : ils commencent en mai 1953 ; elle avait vingt ans. Après la mort de son petit frère, son père l’avait confiée à un couple d’amis qui tenait un hôtel à Tanger. Pour elle, la ville était comme une page blanche ; une page qui sera restée secrète toute sa vie, mais qu’elle n’aura jamais refermée.

Lina décide de continuer le carnet. Pour cela, elle se rend à « l’autre part » qui n’a jamais quitté Manelle. Elle désire marcher dans les pas de cette dernière, reconstituer son histoire, la comprendre et se rapprocher d’elle. Elle entend sa voix : « Tu peux tout inventer à partir de ça. » (p. 37) Elle tente de faire son deuil en découvrant la jeune fille qu’était Mané et va à la rencontre de ceux qui l’ont aimée. Elle comprend que, malgré sa discrétion au sujet de cet épisode qui l’a construite, sa grand-mère n’a jamais quitté cet endroit. Elle en est partie physiquement, mais une part importante d’elle-même est restée là-bas.

Lorsque j’ai reçu ce livre, j’avais imaginé deux significations possibles à son titre : L’autre part, comme une autre part de soi-même ; L’autre part pour parler de la personne qui s’en va. Je n’avais pas pensé à la troisième, pourtant évidente : L’autre part, cet ailleurs que Manelle a emmené avec elle. Ces trois interprétations de la même expression sont présentes dans ce texte intimiste. A travers le récit de Manelle et les explorations de Lina, l’essence de Tanger nous est livrée : la ville sous protectorat, la naissance de mouvements pour la libération des femmes, les contes de rue, la condition féminine, etc. Deux générations différentes, espacées de plusieurs décennies, relatent le combat des femmes pour leur liberté et les associations qui œuvrent dans l’ombre.

J’ai beaucoup aimé ce roman imprégné de soif de liberté. Il est empli de contrastes : les silences expriment autant que les paroles et la fougue est décrite avec pudeur. La délicatesse des mots et la portée des actes m’ont beaucoup touchée.

Je remercie sincèrement les Éditions Plon pour ce service presse.

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