Le complexe de la sorcière, Isabelle Sorente

Le complexe de la sorcière

Isabelle Sorente

Éditions JC Lattès

Quatrième de couverture

«  Les histoires que je lis sont celles de femmes accusées d’avoir passé un pacte avec le diable parce qu’un veau est tombé malade. Les histoires que je lis sont celles de femmes qui soignent alors qu’elles n’ont pas le droit d’exercer la médecine, celles de femmes soupçonnées de faire tomber la grêle ou de recracher une hostie à la sortie de la messe. Et moi, je revois le cartable que m’a acheté ma mère pour la rentrée de sixième, un beau cartable en cuir, alors que j’aurais voulu l’un de ces sacs en toile que les autres gosses portent sur une seule épaule, avec une désinvolture dont il me semble déjà que je ne serai jamais capable. Je revois mon père tenant ma mère par la taille un soir d’été, je le revois nous dire, à mon frère et à moi, ce soir, c’est le quatorze juillet, ça vous dirait d’aller voir le feu d’artifice  ? Cette contraction du temps qui se met à résonner, cet afflux de souvenirs que j’avais d’abord pris pour un phénomène passager, non seulement ne s’arrête pas, mais est en train de s’amplifier.  »

En trois siècles, en Europe, plusieurs dizaines de milliers de femmes ont été accusées, emprisonnées ou exécutées. C’est l’empreinte psychique des chasses aux sorcières, et avec elle, celle des secrets de famille, que l’auteure explore dans ce roman envoûtant sur la transmission et nos souvenirs impensables, magiques, enfouis.

Mon avis

Lors d’un changement de vie, la narratrice débute un dialogue avec une sorcière. Est-elle réelle ou le fruit de son imagination ? Peu importe, l’essentiel est qu’elle permet à Isabelle de s’interroger. Au départ, elle se demande si nous portons toutes le souvenir inconscient et le poids des femmes qui ont été chassées en tant que sorcières. Est-ce pour cela que nous ne nous défendons pas ? Puis, le roman glisse vers l’introspection et Isabelle laisse parler l’enfant en elle qui a souffert.

Elle montre que les chasses ont changé, mais existent toujours. Des individus se regroupent encore en meute, pour détruire une personne et les conséquences des attaques sont minimisées. Elle décrit le harcèlement scolaire. Grâce à elle, j’ai enfin pris conscience que je l’ai vécu, puisque cela s’est même terminé par des béquilles pour moi. Mais elle a aussi provoqué en moi une remise en question : n’ai-je pas harcelé cette fille de qui je me moquais de sa coiffure, quand j’étais enfant ? Nous étions amies, elle se moquait de ma couleur de cheveux, mais depuis ma lecture, je ressens un malaise et me demande quelles conséquences ce qui me paraissait anodin a pu avoir sur elle.

Ce roman, qui se situe entre le roman et l’essai, est, pour la narratrice, une plongée en elle-même et, par un effet miroir, nous fait réfléchir sur nous-mêmes, sur nos souffrances, mais également sur nos actes et sur notre personnalité. Isabelle Sorente démontre aussi que nous avons toutes un inquisiteur, dans notre entourage ou en nous. Elle décrit aussi la minimisation qui est souvent faite des persécutions que subissent les femmes, comme si c’était dans l’ordre des choses.

Dans mon entourage, une femme est toxique et quand je veux exprimer ma colère à son encontre, afin d’éviter les mots que je pourrais regretter, je la nomme « cette bonne femme-là ». Quelle ne fut pas ma surprise de lire cette phrase : « Jusqu’au moment où j’ai lu dans La sorcière et l’Occident que les sorcières étaient appelées bonnes femmes. » (p96)

Ce livre est une réflexion sur la cause des femmes, sur les peurs qu’elles éveillent chez les hommes et la façon de ces derniers de les museler, sur cette attitude intrinsèque de laisser faire, comme si elles portaient le poids des chasses aux sorcières, sur les secrets et non-dits qui traversent les générations. C’est une réflexion, à la fois universelle et intimiste, qui résonne en nous sur les deux plans : les femmes au cours des siècles et celles dans notre vie personnelle. 

Le complexe de la sorcière est un magnifique roman envoûtant qui fait réfléchir

Sortie le 8 janvier 2020

Je remercie sincèrement Élise des Éditions JC Lattès pour ce service presse.

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