
La geôle des innocents
Ensaf Haidar
Editions de l’Archipel
Quatrième de couverture
Rachwan et Râm, deux travailleurs étrangers, sont venus chercher fortune en Arabie saoudite. Ils apprennent vite, à leurs dépens, ce qu’il en coûte d’enfreindre les règles du Royaume.
Dénoncé et jugé sans appel, Rachwan est incarcéré dans le terrible centre pénitentiaire de Briman, à Djeddah, pour liaison illégitime avec la belle Siham – détenue quant à elle dans la prison des femmes. Quant à Râm, après s’être enfui de la distillerie d’arak clandestine qui l’employait, il échoue également à Briman.
Tous deux vont faire l’apprentissage de la détention dans toute sa rigueur. Un univers dont les maîtres mots sont la violence, le sexe et la drogue. Mais où les fantasmes ouvrent un espace de liberté et d’exploration de soi parfois déconcertant. Début de la déchéance ? Ou promesse de rédemption ?
La geôle que décrit Ensaf Haidar semble la métaphore d’une société enfermée dans ses paradoxes et dans sa folie, brûlée par ses espoirs inassouvis.
Mon avis
Ensaf Haidar est l’épouse de Raif Badawi, qui a été condamné en 2012 à dix ans de prison, à mille coups de fouet, à une amende d’un million de riyals (266 000 dollars) et une interdiction de voyage de dix ans à l’expiration de sa peine de prison, pour avoir prôné, sur son blog, la liberté d’opinion, de culte et d’expression. En janvier 2015, il a reçu 50 coups de fouet. La peine a été suspendue, après les protestations de plusieurs gouvernements, puis de l’ONU, et en raison de l’état de santé Raif Badawi. Cependant, la sentence n’a pas été abandonnée et pourrait reprendre. Ensaf Haidar a reçu le prix Sakharov des droits de l’homme décerné à son mari par le Parlement européen. Elle est, également, Présidente et cofondatrice de la Fondation Raïf Badawi pour la liberté (FRBL). En 2016, elle a écrit Mon combat pour sauver Raif Badawi, publié aux Éditions de l’Archipel. La geôle des innocents est son premier roman. Son mari ne lui a jamais parlé de ses conditions de détention : les appels téléphoniques sont très brefs et sont écoutés. Aussi, elle a imaginé une histoire qui se déroule dans une prison en Arabie Saoudite. Peut-être pour exorciser les questions qui tournent dans sa tête au sujet des conditions de détention de son mari ?
Lorsque le livre commence, cela fait trente jours que Rachwan est à l’isolement, dans une prison d’Arabie Saoudite. Depuis plusieurs semaines, il a emprisonné une fourmi dans un gobelet en plastique transparent. C’est à elle qu’il se confie ; à elle qui a, certainement, entendu plusieurs histoires de prisonniers. Lorsqu’il lui a tout dit, il la libère et il est lui-même emmené à la prison centrale de Briman.
Rachwan est un Syrien qui est venu travailler en Arabie Saoudite. Il voulait gagner de l’argent pour payer un passeur et ainsi, permettre à sa famille de fuir la guerre. Un ami lui avait procuré un emploi de chauffeur. En accompagnant son patron à une soirée, il a rencontré Siham, une Yéménite. Ils sont tombés amoureux et ont entamé une relation clandestine. Dès leur premier rendez-vous, la jeune femme lui a expliqué que la police religieuse ne devait jamais découvrir leur amour. L’histoire se déroule avant que cette police perde un peu de pouvoir. Cet « organe officiel chargé de faire respecter les prescriptions religieuses de la façon la plus stricte » (p. 19) contrôle le port du voile, le respect de l’interdiction de conduire pour les femmes, « il vérifie que les commerçants ferment bien leurs boutiques aux heures de prière » (p. 20). Lorsqu’un homme et une femme sont dans un lieu public, leurs liens sont contrôlés, seul le lien familial au premier degré est autorisé. « En d’autres termes, la femme qui accompagne un homme ne peut être que sa sœur, sa fille ou sa femme. Imagine-toi être mis en prison du seul fait que tu te serais trouvé assis au côté d’une femme dans un espace public… » (p.20). Lorsque Siham a été hospitalisée en urgence et que Rachwan l’a accompagnée, ils ont été dénoncés. Au début de son incarcération, ce qui fait tenir Rachwan, c’est la pensée de Siham et l’espoir de communiquer avec elle. Son amoureuse est le personnage qui m’a le plus perturbée. Son rôle est flou quand ils sont tous les deux emprisonnés. Tentatrice ou victime ?
Râm vit en Inde et a besoin d’argent pour respecter « les traditions indiennes qui imposent à la femme de verser une dot au mari » (p. 67) : il a cinq filles. Grâce à une agence de recrutement, il a trouvé un emploi en Arabie Saoudite, pays qui a la réputation d’avoir des richesses à profusion. En réalité, il est très peu payé, travaille sans relâche et son patron lui a confisqué son passeport. Des évènements le conduisent lui aussi à la prison de Briman.
La geôle des innocents décrit un univers parallèle dans lequel le sexe, la drogue et les trafics dominent. Dans le milieu carcéral, la sexualité se cherche ou s’impose par la violence. Les mains qui se tendent sont, parfois, celles qui tapent, et celles qui se retirent peuvent être celles qui aident. Rachwan et Râm sont victimes de règles qu’ils ne connaissent pas. Étrangers, ils tombent dans des pièges. Les motifs de leur incarcération révoltent, leurs conditions de détention glacent, leurs condamnations sans procès indignent. Nous sommes choqués et nous nous rappelons notre chance de vivre dans un pays de liberté. Ensaf Haidar dépeint l’Arabie Saoudite, telle qu’elle était, il y a dix ans, avant les réformes du prince héritier Mohammad ben Salmane. Elle ne sait pas quel est réellement l’impact de ces changements, puisqu’elle vit, maintenant, au Québec.
La geôle des innocents remue. Nous assistons à la descente aux enfers de personnes qui, pour nous, n’ont rien commis de répréhensible. Nous comprenons que les lois religieuses rayent toute humanité. Paradoxalement, ce qui se fait clandestinement hors des murs de la prison, se joue ouvertement à l‘intérieur. Les conditions de détention sont choquantes et la lecture est douloureuse. Même si les faits décrits sont tirés de l’imagination de Ensaf Haidar, nous ressentons la part de réalisme et percevons que ce roman est un cri et un appel. Nous l’entendons et notre impuissance fait mal. Même si j’ai eu des difficultés à comprendre le sens de la fin, qui m’a désappointée et m’a semblé être plus un besoin d’espoir qu’une conclusion au récit, la plus grande partie du roman m’a bouleversée.
Je remercie sincèrement Mylène des Éditions de l’Archipel pour ce service presse.